Réponses :
1. Antoine Rossignol
2. Elizebeth (Smith) Friedman
3. Stephen Wiesner
L’énigme portait sur la cryptologie et ses impressionnantes évolutions au cours des siècles. La première phrase était copiée sur un vers du Colloque sentimental de Verlaine. C’était là plutôt une fausse piste, même si on peut y voir un clin d’œil à Bletchley Park, (« dans le vieux parc solitaire et glacé »), le site secret de cryptologie qui a en partie assuré la victoire alliée au cours de la deuxième guerre mondiale, ou encore à l’usage d’autres vers de Verlaine (Les sanglots longs des violons de l’automne / bercent mon cœur d’une langueur monotone) pour annoncer l’imminence du débarquement en Normandie.
Les trois figures de l’énigme avaient donc à voir avec la cryptologie (« car elles viennent de l’ombre, du pays où toute apparence est trompeuse »).
Le premier personnage était Antoine Rossignol (1600-1682) (« mon guide c’est l’oiseau »). Mathématicien (« j’aime les chiffres »), il est rentré dans l’Histoire en avril 1628 lors du siège de Réalmont par les troupes du prince de Condé. Ce dernier, désespéré par la résistance de la petite place forte protestante s’apprête à lever le siège quand les troupes royales capturent un individu qui essayait de passer leurs lignes. Il est porteur d’un message codé. Personne dans l’entourage du prince ne peut en comprendre la signification. Rossignol offre de le décoder et y parvient. Il révèle que les assiégés sont à cours de poudre de canon. Le lendemain, le prince présente aux assiégés leur propre message décodé. Ils se rendent. Quelques mois plus tard, Rossignol est engagé par Richelieu, sur recommandation du prince de Condé, pour décoder les messages des assiégés de La Rochelle. Il ne quittera plus le service royal. Il est rapidement anobli, devient Antoine Rossignol des Roches, et s’installe dans une maison de maître de Juvisy-sur-Orge. A la mort de Richelieu et de Louis XIII, il passe au service de Mazarin puis de Louis XIV, le Roi-Soleil (« Je sers sa Majesté de lumière ») . Avec son fils Bonaventure, il devient responsable du « Grand Chiffre du Roi », c’est-à-dire du système de codage de toute la correspondance secrète de l’armée et de la diplomatie française (« Je suis le gardien du secret des choses »). Le code utilisé est un code par substitution et répertoire où les noms importants sont codés à part et les autres mots codés par syllabes. Il existe également des codes sans signification et d’autres instruisant d’effacer la syllabe précédente. Bien que rudimentaire (« mon code de conduite est simple ») au regard des techniques actuelle, ce Grand Chiffre semble n’avoir jamais été décodé par aucune puissance étrangère du vivant de Louis XIV. Rossignol, dont le bureau jouxte les appartements royaux fait aussi partie du Cabinet Noir, sorte d’embryon de services secrets dont le rôle est d’intercepter et de lire le courrier postal de tout individu suspecté d’être une menace pour le royaume. Ce Cabinet Noir sera ensuite copié par les anglais sous le nom de Black Chamber (« ma chambre noire »). Malheureusement, à la mort de Rossignol puis du Roi, le grand Chiffre tombe dans l’oubli. Les historiens du XIXème siècle se retrouvent donc dans l’impossibilité de déchiffrer les archives royales. A la demande de l’un deux, un cryptanalyste de l’armée française, le commandant Etienne Bazeries, entreprend de décoder le Grand Chiffre en 1890. Il y parvient après avoir réalisé qu’il fonctionne par syllabes, en mettant en concordance les nombres les plus fréquents dans le code (22, 42, 124, 125, 341) avec les syllabes les plus fréquentes en français (es, en, ou, de, ne) et en faisant l’hypothèse que la séquence « 124-22-125-46-345 » qui revient souvent signifie « les ennemis » (« Malheur au commandant français qui a cassé mon œuvre ! »). Une des lettres ainsi décodées semble suggérer que l’Homme au Masque de Fer serait le Lieutenant-général de Bulonde, gentilhomme à qui le Roi reprochait sa fuite devant les troupes autrichiennes en Italie. Cette hypothèse, moins romanesque que celle d’un jumeau du roi, semble cependant peu plausible.
Le second personnage était Elizebeth Friedman (1892-1980). Née dans un milieu modeste, Elizebeth Smith (que sa mère n’appelle pas Elisabeth pour qu’elle ne soit pas surnommée plus tard Eliza…), entreprend des études de littérature anglaise, de latin, de grec et d’allemand (« j’aime les lettres »). Passionnée de Shakespeare (« mon guide, c’est William »), elle est embauchée en 1916 par George Fabyan, un milliardaire excentrique qui finance les Riverbank Laboratories dans le but, notamment, de prouver la Baconian theory, c’est-à-dire la théorie selon laquelle Francis Bacon (dont la devise est « savoir c’est pouvoir ») serait le véritable auteur des pièces de Shakespeare et aurait laissé dans le texte des messages codés attestant de son identité. Elizebeth va donc y faire ses premiers pas en cryptologie. En 1917, elle épouse un autre chercheur du centre, William Friedman. C’est l’année où les Etats-Unis entrent en guerre et l’on demande aux Riverbank Laboratories de travailler sur le codage et le décodage de messages militaires. Après la guerre, en 1921, William et Elizebeth quittent Riverbank pour le Ministère de la Guerre. En 1925, Elizebeth intègre le corps des garde-côtes américains et participe comme cryptanalyste à la lutte contre la contrebande internationale, le trafic de drogue et… le commerce illicite d’alcool, Prohibition oblige (« la chasse à l’homme et la vigilance aux frontières, voilà ma drogue ! »). Elle est impliquée dans la chute de plusieurs réseaux maffieux américains mais aussi chinois (bien que les messages codés de ces derniers aient été en mandarin !). A l’aube de la seconde guerre mondiale, William deviendra célèbre pour avoir percé le secret de la « Purple Encryption Machine », équivalent japonais de la machine Enigma allemande. Elizebeth, elle, travaille dans l’ombre à la chasse de réseaux nazis en Amérique du Sud pour le FBI et son directeur, Edgar J. Hoover, qui en tirera toute la gloire (« malheur à Edgar qui a volé mon œuvre ! »). Elle participe aussi en 1944 à la chute de Velvalee Dickinson, la « femme poupée », qui tient un magasin de poupée antiques et espionne pour le compte des japonais (« je n’ai rien d’une poupée »). Elizebeth prend sa retraite en 1946. Avec William, elle publie en 1957 “The Shakespearean ciphers examined”, livre dans lequel ils démontent de manière définitive la Baconian theory.
Le dernier personnage était Stephen Wiesner (né en 1942). A la fin des années 1960, Stephen Wiesner est étudiant à Columbia. Il a l’idée d’utiliser la physique quantique (« Le bon guide, c’est le chat, celui qui est mort et vivant »), et plus particulièrement les propriétés de polarisation des photons (« Voilà de quoi polariser le colloque ») pour fabriquer des billets de banques virtuellement infalsifiables. Malheureusement, personne ne croit à cette technique de codage dite « par observables conjuguées » (« Tout est observable ; il suffit de bien conjuguer »). « Je n’ai eu aucun soutien de mon directeur de thèse – écrira-t-il – Il n’y a jamais cru. J’ai parlé de cette idée à plusieurs personnes, mais elles prenaient une mine ahurie, et retournaient bien vite à leurs affaires ». Il soumet un article à plusieurs revues scientifiques mais il est refusé à chaque fois. Finalement, l’article ne sera publié que 13 ans plus tard, en 1983. Dès l’année suivante, Charles H Bennet et Gilles Brassard s’emparent de l’idée et proposent la première technique de cryptographie quantique. Pour comprendre la beauté de la méthode, il faut imaginer qu’Alice et Bob (nom générique en cryptographie de deux opérateurs voulant communiquer secrètement) s’envoient un message et qu’Oscar (nom générique de l’espion – avec aussi Eve et Mallory) veuille l’intercepter ; Oscar, en essayant de lire le code, modifiera la polarisation des photons. Bob saura donc que quelqu’un a essayé de lire le message d’Alice. Stephen Wiesner vit aujourd’hui à Jérusalem (« Malheur à Oscar qui ne m’empêchera pas d’atteindre la ville sainte »).
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